Rencontre avec la maladie   

Par Jacques Salomé

Tomber malade, entrer en maladie
ne peut être le fait du hasard,
ni celui d’un effet du destin,
encore moins le résultat d’un concours
de circonstances fâcheux…

C’est un langage qui parle en nous de nous.
Et peut être surtout de l’indicible,
quand le silence des mots réveille
la violence des maux.

Ce peut être le réveil d’une blessure de l’enfance,
la réactivation d’une situation inachevée
que l’on n’a pas écoutée en son temps !

Ce peut être l’hémorragie affective
d’une séparation imposée,
la violence d’une rupture non souhaitée,
la perte d’un être chair et cher !

Ce peut être encore l’expression d’une fidélité,
la mise en œuvre d’une mission de réparation
à l’égard d’ascendants.

Ou plus simplement parfois,
la manifestation d’un conflit intra personnel
dont le seuil de tolérance est atteint.

Être malade est une invitation bouleversante
de notre corps à mieux nous entendre.

Une sollicitation à mieux écouter la relation
parfois disqualifiante que nous avons avec lui.

Une invitation à se respecter vis à vis d’autrui,
et surtout face aux personnes aimées.

Une incitation à ne plus se laisser définir,
un signal pour oser entendre
et nommer l’innommable,
pour crier l’insupportable,
pour émerger enfin du silence,
pour accepter de changer de vie.


Réflexion sur le pardon   

Par Jacques Salomé

Autrefois valorisé par les chrétiens comme un acte de charité envers ceux qui nous avaient porté préjudice, le pardon est à la mode ! Il est aujourd’hui recommandé par tous les tenants de la pensée positiviste, comme une démarche nécessaire et souhaitable pour être mieux avec soi-même.

Incontestablement le fait de pardonner contient les germes d’un apaisement. Les ressentiments et les rancœurs contre celui qui nous a blessé s’apaisent, les ruminations et les pensées négatives diminuent et la relation avec celui auquel on a pardonné semble s’améliorer. Je voudrais cependant apporter quelques réflexions sur le sens du pardon, non dans sa dimension idéologique (ne pas entretenir de sentiments négatifs en soi et envers autrui), mais dans sa dynamique paradoxale. Pour cela rappeler les quatre grandes blessures que nous inscrivons en nous dans l’enfance et qui peuvent se réveiller à un moment ou un autre de notre vie d’adulte.

L’injustice

Quand nous sommes accusés à tort, impliqués par erreur, ou que nos valeurs, nos convictions profondes sont bafouées ou blessées.

L’humiliation

Quand nous sommes dévalorisés, disqualifiés, abaissés, que notre valeur n’est pas reconnue. Des sentiments diffus vont s’éveiller et se traduire par des doutes, de la non-confiance, une blessure de l’image de sol.

L’impuissance

Quand nous sommes forcés, abusés, violentés physiquement ou moralement. Ce sera l’ensemble des violences qui ont maltraitées à des degrés divers, notre corps ou notre psychisme.

La trahison et la tromperie

Quand avec confiance, abandon nous nous étions confiés, engagés envers l’autre et qu’il transgresse cette confiance, cet engagement. Quand un être proche, cher, aimé n’est plus fiable.

Au moment des faits, dans la situation de crise, de conflits ou de violence le pardon ne peut-être présent, il ne peut être envisagé. Ce qui domine c’est la souffrance, l’incompréhension ou le désespoir.

Il faut souvent du temps pour retrouver des ressources, de la confiance, se rattacher à des valeurs, se reconstruire. Mais le temps ne suffit pas pour retrouver une image positive de soi le conseil qui est trop souvent proposé d’oublier, de pardonner ne me parait pas non plus suffisant Dans l’esprit de la Méthode E.S.P.È.R.E.®(*) que j’enseigne, le pardon sera remplacé par une démarche symbolique de restitution, de remise chez l’autre de la violence reçue. En fait une confirmation que la violence qu’il a déposé sur nous et bien la sienne. Il ne suffira pas de pardonner au sens habituel du terme, c’est-à-dire de donner à l’autre un quitus de son acte ou de son comportement qui aurait une triple fonction :

  1. Soigner et réparer la relation meurtrie ou dénaturée par “ce qui s’est passé”.
  2. Libérer le pardonné de sa faute, voire de sa culpabilité
  3. Réconcilier le pardonnant avec lui-même.

En pardonnant, tel que nous le faisons habituellement, je crois que les points 1 et 2 sont atteints et que la plupart des gens en restent là. Pour le dernier point, pour que le pardonnant puisse se réconcilier avec lui-même, se laver de la violence reçue, je crois qu’il est important d’accompagner la démarche, par la remise d’un objet symbolique. Je vais l’illustrer ma proposition avec quelques exemples concrets :

Si une petite fille a été violentée à dix ans par le sexe d’un adulte, je propose qu’elle dessine, sculpte, modèle un sexe masculin, fasse un paquet et envoie le tout à son agresseur. Ceci avec un mot d’accompagnement disant entre-autres. « Je vous restitue la violence que vous avez inscrite dans mon corps, je ne souhaite plus la garder en moi durant des années à venir. Cette violence est bien la votre ».

Car au-delà du pardon, tel qu’il est pratiqué, c’est cette démarche qui libérera cette ex-petite fille, devenue adulte de toute l’auto-violence qu’elle peut entretenir en elle depuis l’événement. Par exemple : blocages sexuels, vaginisme, infections génitales, appréhension de tout rapprochement sexuel même avec des êtres chers…

Il ne suffit donc pas de pardonner à son violeur ou à son agresseur, encore faut-il ne pas garder en soi la trace de la violence reçue. Dans un autre exemple plus banal, tel petit garçon qui a reçu de la part de son père ou d’un enseignant des jugements de valeurs ou des disqualifications, peut écrire les mots blessants sur un carton et les restituer, toujours avec ces mots d’accompagnement mentionnant : « Oui papa c’était ton point de vue sur moi, cette opinion je le laisse chez toi » ou, « Oui monsieur le professeur c’était bien votre croyance à vous, de penser que j’étais un idiot ou un paresseux. Cette croyance je la laisse chez vous ! »

Avec cette démarche symbolique, on démystifie le paradoxe contenu implicitement dans le pardon classique, où le pardonné va beaucoup mieux, on lui a donné quitus de son acte ou de son comportement, mais le pardonnant lui continuera à être pollué, imprégné par la trace toujours en lui, de la violence reçue. Même s’il se réconcilie en pardonnant avec l’image de lui même, il lui appartient de ne pas garder dans son corps, dans son imaginaire ou son psychisme, la violence déposée.

Si le pardon est l’amorce d’une libération et d’un mieux-être, il n’en épuise par pour autant tous ces possibles.

Lâcher-prise sur des souvenirs négatifs est une chose essentielle, mais se libérer et se réconcilier avec le meilleur de soi est un beau cadeau à se faire. La pratique des actes symboliques peut nous y aider.


Vous allez être opéré…   

Par Jacques Salomé, 20 juillet 1994

Bien avant

Avez-vous un jour entendu l’une ou l’autre de ces phrases, soit comme un soulagement, soit comme une catastrophe ou un couperet ?

  • Je ne peux pas faire autrement que de vous proposer une opération…
  • Votre état nécessite une intervention…
  • Vous seul(e) pouvez décider ou non cette intervention…
  • Vous allez être opéré! C’est plus grave que je ne pensais, je vais devoir vous opérer…
  • Je vais vous opérer, je n’ai pas d’autres choix! je vais vous enlever ça, vous verrez cela ira mieux ensuite…
  • Vous savez, ce sera mieux après, c’est un mauvais moment à passer…
  • Je ne sais pas qui vous a opéré avant, mais il est temps que je répare tout ça… que je mette un peu d’ordre. (Toutes ces phrases ont été entendues… ici ou ailleurs telles quelles.)

Dans votre tête

Quelles que soient les phrases, quels que soient les mots avec lesquels votre médecin, votre chirurgien, vous a annoncé la nécessité, l’importance d’une opération sur votre corps, comment les avez-vous entendus vous ? Comment votre corps les a-t-il reçus ? Car c’est de votre corps dont il s’agit, bien au-delà de votre santé. De l’intégrité de votre corps, celui avec lequel vous vivez tous les jours, depuis longtemps, depuis toujours.

Avez-vous pu écouter en vous, la résonance de ces mots ou de cette phrase par laquelle vous étiez informé d’une opération à venir ? Avez-vous pu entendre ce qu’elle a déclenché d’interrogations, d’angoisses, de peurs, de soulagements ou de doutes en vous ?

Avez-vous pu dire à quelqu’un de proche au-delà de l’information : « Tu sais, je vais être opéré », quelques-uns des sentiments, des pensées, des émotions soulevés dans votre esprit, dans votre ventre, dans votre cœur par la perspective d’être opéré, endormi, ouvert, recousu après qu’on ait enlevé ou réparé un organe défaillant ?

Avez-vous pu exprimer à vous-même les sentiments contradictoires, les mouvements en vous, vers un accord : « Bon, plus vite ce sera fait, mieux ce sera… » Mais aussi les refus et les doutes : « Est-ce vraiment nécessaire, et s’il s’était trompé, si ce n’était pas aussi grave qu’il le dit… peut-être qu’on pourrait essayer un autre traitement… qu’il y a d’autres solutions… ? »

Avez-vous pu reconnaître toutes ces pensées puériles ou folles qui se bousculent parfois comme une tempête dans la tête… et qui ont besoin d’être entendues, seulement entendues pour se déposer, pour se clarifier d’elles-mêmes.

Avez-vous pu parler à vos proches, à vos parents, à des amis de ce bouleversement dans votre vie, de cette violence et de ce soulagement que représente une intervention chirurgicale ? Et même si vous n’avez pu dire tout cela, avez-vous pu seulement l’écrire, le dessiner pour vous, pour le sortir de vous, pour l’entendre mieux en vous ?

C’est tout proche

Oui, vous allez être opéré. La décision a été enfin prise par vous, par votre médecin. Vous êtes arrivé ici, à la clinique, à l’hôpital la veille ou à quelques jours de votre opération. Vous allez être pris en charge par une équipe, vous allez être accompagné.

A propos de l’anesthésie

L’anesthésiste est venu vous voir, il a pris contact avec vous. Il fait connaissance avec vos ressources, il sait sur quoi il peut compter pour vous accompagner durant l’anesthésie. Il vous a posé quelques questions ; il vous a demandé comment vous ressentez cette opération à venir, ce qu’elle représentait pour vous.

C’est lui, aidé par une infirmière anesthésiste, qui sera le plus près de vous durant toute l’opération, attentif à veiller à maintenir votre organisme en état de recevoir l’intervention, attentif à vous éviter souffrance, traumatisme, violence inutile.

L’intervention terminée, vous séjournerez quelque temps en salle de réveil, où des infirmières spécialement formées surveilleront attentivement votre retour à la conscience. Plus tard, vous retrouverez votre chambre ainsi que le personnel du service où vous êtes hospitalisé. Mais vous n’en êtes pas encore là, l’opération est à venir.

Le chirurgien

Le chirurgien aussi vous connaît, il connaît même l’intérieur de votre corps, par des radios, des échographies, des scanners peut-être ou par une opération antérieure. Il vous a parlé, vous a dit son point de vue. Vous allez vous appuyer non seulement sur sa compétence, mais aussi sur ses qualités humaines.

Vos proches

Vos parents sont informés, proches ou lointains suivant votre situation familiale. Vos amis savent, même s’ils ne savent pas tout. Beaucoup de personnes qui vous aiment, pensent à vous avec inquiétude et espérance. Certaines enverront des pensées positives.

Oser dire

Avant l’opération : si quelque chose vous tracasse, vous inquiète, vous tarabuste ou n’est pas clair… n’hésitez pas. Osez demander, oser dire ce qui vous préoccupe, ce qui vous pèse ou vous fait peur. Il n’y a pas de honte à cela. Vous serez accueilli par une équipe expérimentée, qui "en a vu beaucoup" même si cela ne vous rassure pas. Vous pouvez vous appuyer sur l’une ou l’autre de ces personnes. Rappelez-vous, c’est de votre corps dont il s’agit, du meilleur compagnon que vous aurez jamais tout au long de votre vie.

Oui, osez dire, car les mots sont importants, ils évitent souvent bien des maux… Car, il y a les peurs secrètes, celles qu’on n’ose pas formuler de peur de paraître bête, ridicule. Par exemple la peur d’être vu, d’être regardé sans défense, avec le sentiment que le territoire du corps intime est violé.

Si je dors sous le regard d’autrui, je suis sans défense, sans contrôle sur ce qui va se passer. Livré, vulnérable à la toute-puissance d’un chirurgien, d’une équipe de quelques personnes. Il faut que je fasse confiance à tous ces gens !

La peau est une sacrée protection, plus importante que les vêtements, et voilà que cette ultime protection sera peut-être menacée! Les radios font parfois peur, voir tous ses os ! Dans l’imaginaire de certains : os = squelette = mort.

Oui, osez dire tout cela et donnez-vous le courage d’être entendu. Non, pas rassuré, mais respecté dans ce ressenti qui est le vôtre, qui n’appartient qu’à vous. Osez dire, osez exprimer, car les mots sont importants. Nous le savons aujourd’hui dans le silence des mots se réveille la violence des maux ! Ne vous laissez pas arrêter, envahir par le savoir ou les réponses toutes faites parfois du spécialiste.

« J’attends de vous, Monsieur le chirurgien, que vous ayez bien compris mon corps, pas seulement mon problème ou ma pathologie. Je vous sais compétent, on me l’a dit autour de moi : “Avec lui, tu n’as rien à craindre”… "Je demande que votre décision de m’opérer soit une décision humaine, respectueuse de tout ce que je suis… »

« Et vous, Monsieur ou Madame l’anesthésiste, prenez soin de moi, prenez soin de ma fragilité et de mes ressources aussi, j’en ai…

Aucune opération n’est bénigne, aucune n’est légère, vous le savez bien, c’est une intrusion au plus secret de mon corps. Vous allez intervenir pour mon bien, d’accord mais avec ma vie ».

Appuyez-vous sur vous-même

Vous savez que vous pouvez aussi, vous-même, faire beaucoup de choses pour vous préparer. Par de courtes séances de relaxation, de sophrologie, vous pouvez vous projeter dans votre corps, imaginer l’opération en train de se dérouler, visualiser le chirurgien enlevant ce qui gêne, ce qui est mauvais. Le voir vous réparant, posant une prothèse ou une plaque.

Vous pouvez anticiper votre “mal-aise” complètement résolu, guéri, votre souffrance disparue. Visualisez l’intervention comme s’étant parfaitement bien passée. Imaginez les cicatrices se fermer naturellement, facilement. Voyez vous debout, actif, menant une vie agréable, normale parmi les vôtres. Voilà quelques apports de plus, de ce que vus pouvez faire… pour vous accompagner positivement vous-même dans cette épreuve.

Voilà, vous êtes prêt

Merci d’avoir pu lire, et peut-être proposer à chacun de lire dans le service, ces quelques lignes.


Vous venez d’être opéré…   

Par Jacques Salomé, juin 1994

Le réveil

Voilà, c’est fait.

Vous allez vous réveiller dans un lieu intermédiaire entre le bloc opératoire et votre chambre. Vous êtes en salle de réveil. C’est un endroit nouveau, plein de blouses blanches, d’appareils, d’odeurs, de bruits étouffés ou qui prennent quelquefois une intensité extraordinaire.

Peut-être vous demandez-vous si vous ne rêvez pas ? S’ils vous ont bien opéré ? Et vous rebasculez dans le noir, dans l’oubli ou le chaos. Des images, des sensations, des bouts de votre vie se mélangent, éclatent, se dispersent ou se fondent dans la plus parfaite des incohérences.

Et puis, c’est le retour à votre chambre. Vous retrouvez votre lit, quelques objets familiers. Parfois, un de vos proches est là, une présence connue, aimée, bienveillante et cependant inquiète. Son silence est important. Surtout qu’elle ne pose pas de questions, qu’elle ne vous harcèle pas de sollicitations trop intempestives, car un malentendu risque de s’installer. Elle voudrait faire, agir et vous avez seulement besoin de sa présence, de son être.

Un silence conscient, un regard, un toucher léger et surtout une respiration suffisent à maintenir une relation.
La respiration sera un des langages les plus essentiels, les plus efficaces durant les heures et les jours qui vont suivre.
Entendre respirer dans un rythme proche du vôtre, c’est se sentir accepté inconditionnellement, tel que vous êtes à ce moment-là.
Vous allez faire durant plusieurs heures, l’ascenseur entre sommeil et éveil, entre sensations de bien-être et sensations de détresse ou de désarroi. Votre conscience pâteuse ou lucide, votre inconscience chaotique ou aiguë vous accompagne.

Vous avez été opéré. L’anesthésie se dissout lentement, les sensations se clarifient, la douleur arrive ou revient. Le travail de guérison commence.
Certaines opérations sont de véritables séismes qui bouleversent un cycle de vie, qui invitent à une renaissance, qui modifie un schéma corporel, qui restructurent conduites, comportements et parfois même lignes de vie.
Une intervention chirurgicale vise un mieux-être qui sera à découvrir dans quelques heures, dans quelques jours.
Après avoir traversé quelques ajustements le plus souvent douloureux car il faut accompagner la cicatrisation, évacuer les pollutions, les violences de l’anesthésie, protéger la vulnérabilité de votre corps, il vous faudra aussi vous prendre en charge.

Des soins, des interventions, un accompagnement spécifique, vous seront proposés par toute une équipe entraînée, vigilante, soucieuse de votre rétablissement.

Les premiers déplacements

Après certaines interventions chirurgicales importantes, vous ne disposez pas de mobilité ou d’autonomie de marche. Vous allez dépendre des autres. Les premiers déplacements en lit, en chariot sont un peu angoissants. Vous quittez un lieu connu, votre chambre, pour l’inconnu. C’est un personnel nouveau qui ne vous connaît pas, que vous ne connaissez pas, parfois un peu pressé. Vous avez peut-être entendu au téléphone : « Hé, tu m’envoies le fémur, tu m’amènes la prothèse ! » Et vous avez découvert avec un petit pincement au cœur que vous n’étiez plus Madame M. ou Monsieur O., mais la clavicule, c’était vous !

Et tout malade que vous êtes, tout souffrant, vous auriez envie de dire à ce brancardier ou à cette brancardière qui vous tire, vous bouscule, sans beaucoup de ménagement, vous auriez envie de leur chuchoter : « Je suis fragile, doucement, doucement, ne me cassez pas davantage ».

Oui, vous auriez envie, là dans le couloir, dans l’ascenseur, entre deux portes qui ne veulent pas s’ouvrir, vous auriez envie de leur dire : « Je suis là, je ne suis pas qu’une clavicule ou qu’une prothèse que l’on doit radiographier, je suis un homme, une femme qui la semaine dernière, dirigeait encore sa vie comme il ou elle l’entendait, qui prenait des décisions importantes. Je suis un père ou une mère de famille, je suis engagé(e) dans la vie à différents niveaux, je suis important(e) pour un certain nombre de personnes, je suis un ex-petit garçon ou une ex-petite fille ». Mais comment dire cela.

Comment faire passer tant de messages ? Comment se faire reconnaître au-delà de sa maladie ? Comme une personne entière qui a tant de possibles en elle, même si, dans l’instant, vous semblez inerte, sans volonté et tellement douloureux que vous souhaiteriez n’avoir jamais, au grand jamais pris cette décision de vous faire opérer !

Même si aujourd’hui, tout ce que vous avez fait ou vécu avant paraît inexistant ou sans valeur, vous auriez envie, même si cela semble puéril, que celui qui vous transporte vers la radiographie, vers les salles d’examens, vous touche la tête, vous caresse les yeux, qu’il entende combien vous êtes petit, tout petit.

Mais eux, au-dessus de vous, semblent sur une autre planète. Ils parlent du Service, d’un changement parmi les médecins, les internes, d’une modification à la cafétéria… Ils parlent « de celle-là, tu sais qui, parce qu’elle a trois enfants, fait toujours des histoires le week-end ! » et « de celui-là qui, depuis qu’il est revenu de l’École d’Aides-soignants, ne se prend pas pour la queue d’une cerise ! »

Ces déplacements sont trop fréquemment des agressions. Ils bousculent trop. Ils se font souvent dans la précipitation, dans une sorte d’urgence mal définie : « Tu me ramèneras le pancréas, hein ? J’ai pas que ça à faire ! »
Quand vous revenez dans votre chambre, vous êtes épuisé, moulu, fatigué et plein de doute aussi. Parfois, préférant minimiser ce qui vient de se dire, d’autres fois, plus profondément blessé qu’il n’y paraît.

La pudeur

Après une opération, aussi bénigne paraît-elle, vous allez être l’objet de soins multiples, répétitifs, qui, les premiers jours, vont s’imposer à vous de façon quasi permanente: température, tension, perfusions, anticoagulants, drains, soins de “nursing”, avec le sentiment que vous n’avez pas un seul instant à vous. Que chaque cinq minutes, vous êtes sollicité, dérangé, tourné, retourné… ça fait mal !
Des fois, c’est le drap qu’on arrache d’un seul coup, d’autres fois, c’est la voix joyeuse d’une infirmière qui pourrait être votre fille, votre mère, votre femme, votre petite amie et qui prend contact avec vous par un petit mot gentil, un encouragement, une invitation.

Vous avez aimé cette infirmière qui vous a dit en vous tendant une serviette ou un linge : « Tenez, voici le carré blanc, nous serons plus à l’aise vous et moi ». Ce carré blanc vous a sauvé la vie, vous a évité beaucoup de gêne, vous a permis de rester dans votre dignité.
Vous savez bien que vous allez avoir à montrer votre corps, à le laisser toucher, manipuler. Qu’il va y avoir des intrusions dans votre chair, dans votre vulnérabilité. Que vous êtes dépendant de décisions qui se prennent sans vous, même si elles se prennent pour vous.

Ainsi, il suffit d’un petit rien, d’un geste gratuit, d’une attention plus personnalisée, d’une attitude qui respecte votre rythme, votre douleur, votre hésitation pour que tous ces soins indispensables deviennent relationnels.

C’est vrai que vous êtes dans leurs mains à tous ces soignants, qui ne sont pas tous des “soi-niants” et qui vous préparent, vous donnent des attentions, vous invitent à retrouver autonomie et bien-être. Même si vous ne pouvez pas leur dire que vous êtes démuni, vous aimeriez qu’ils l’entendent et même s’ils ne voient pas parfois que vous êtes tout petit, vous aimeriez qu’ils le perçoivent.

Combien d’attentions intimes, de sourires, de regards déposés sur le corps en souffrance vont être des baumes, des calmants plus efficaces que beaucoup de thérapeutiques. Car au-delà des gestes fonctionnels, des gestes relationnels sont plus essentiels, plus précieux, les plus vitaux dans cette phase de votre vie où vous vous sentez seulement en survie.

La nuit

La nuit, l’obscurité épaissit le silence. Elle donne plus de profondeur et de force à une pensée. La nuit, une image, un ressenti, une idée prend soudain beaucoup de place. La nuit, le temps est long, comme fermé. Et cependant, il y a de grands mouvements, de grands tremblements, des séismes qui s’agitent dans votre corps, dans votre tête.

La nuit, le corps est en errance, à se chercher, à tenter de trouver un espace, une place. Cela vous aidera de visualiser, d’imaginer l’organe blessé, la prothèse placée, les cellules cancéreuses enlevées, le kyste déposé et d’établir avec eux un petit dialogue, un échange bienveillant ou léger, fantaisiste.
Si on vous a placé une prothèse, de visualiser l’accord possible des cellules avec cette nouvelle présence. D’accepter la différence entre la hanche droite et celle de gauche et de tenter une réconciliation, un accord possible.

La nuit, vos pensées vous emportent parfois vers trop de tensions. Des angoisses très anciennes, archaïques, qui viennent du début de votre condition d’homme, remontent à la surface, viennent éclore dans la semi-pénombre de votre chambre de malade.

De plus en plus d’hôpitaux acceptent la présence d’un accompagnant et, si cela vous est possible, n’hésitez pas à solliciter un ami, un proche, à passer les deux ou trois premières nuits près de vous. C’est bon un regard, une présence qui veille, qui chasse les vieux démons de l’enfance ou des premiers temps de l’humanité. Quelques petits gestes peuvent dénouer mille incertitudes, peuvent atténuer mille tensions, dénouer mille interrogations.

Ne vous épuisez pas dans les méandres de la nuit, cocoonez-vous pour mieux affronter le jour.

La respiration

Couché dans votre lit, même immobilisé, vous avez la possibilité de respirer, de prendre de l’air, de lâcher de l’air.

C’est sur l’expire que se dénouent beaucoup de tensions.

Oser respirer pour accompagner la douleur, pour lâcher prise sur une peur, pour prolonger un lâcher prise, c’est se donner un moyen concret pour mieux affronter et traverser la douleur. Vous rappeler aussi que la respiration est le premier langage que nous utilisons en venant au monde. C’est donc un langage avec soi-même essentiel !

C’est le langage qui permet d’accompagner les émotions, les ressentis heureux ou difficiles, qui habitent celui qui souffre ou se débat.

Combien de tensions, de douleurs, de violences engrangées vont se dissoudre dans une respiration profonde, dans une respiration inspirée.

Petits détails

N’oubliez jamais cet axiome de base : « A l’hôpital, les piqûres ne font jamais mal… à ceux qui les font ». Il est important que le personnel sache frapper à la porte de votre chambre car il annonce ainsi son intention de pénétrer dans votre intimité. Oui, c’est important de frapper à la porte de la chambre d’un malade pour signaler les visites, un soin. Trois secondes entre frapper et entrer, pour laisser le temps de l’apprivoisement, c’est un cadeau extraordinaire.

Enlever une miette, dégager un pli, tous ces gestes gratuits sans contrepartie que votre bien-être. C’est ce qui devient si rare dans la vie d’aujourd’hui.

Prendre contact par le sourire, un geste, quand le soignant vous aborde avec un infime temps d’immobilisation, un ralentissement de l’action, avant de donner un soin, c’est aussi un beau cadeau. Petits détails encore: les fleurs aiment l’eau et un livre, une revue, les petits objets familiers ont besoin de rester accessibles, proches. Votre autonomie, souvent limitée et vous avez besoin d’exercer un minimum de pouvoir, même sur un simple verre d’eau.

Pour certains malades, la pénombre est douce et apaisante.

Sur un lit d’hôpital, les sons prennent plus d’importance et ils ont plus d’ampleur. Que c’est bon une voix qui ne crie pas.

Que c’est bon aussi et apaisant de se sentir entendu. Quand vous allez dire « J’ai mal » vous risquez d’être étiqueté comme douillet. Si vous osez dire « j’ai très mal », vous risquez de paraître insupportable. Pouvoir dire son ressenti et être confirmé dans ce que vous éprouvez : « Oui c’est douloureux pour vous », - « Oui, cette douleur vous semble insupportable ». Être confirmé ainsi est plus aidant que n’importe quelle rassurance ou pseudo-compréhension.

Il vous faut savoir aussi que les personnes susceptibles de prendre une décision ne sont pas toujours présentes au moment où vous faites une demande. Votre infirmière, l’infirmier ou l’aide-soignante présente ne peuvent prescrire. Ils appliquent des prescriptions, un plan de soin. Ils se doivent de respecter une procédure. Mais ils savent aussi que chaque personne, chaque malade est unique avec une géographie de la douleur très différente de celle du malade qui vous a précédé ou de celui qui vous suivra.

Se sentir entendu, reconnu, sont deux besoins fondamentaux qui sont parfois mis à rude épreuve dans un hôpital.

Ne vous découragez pas, n’accusez pas, ne disqualifiez pas le personnel.

Osez vous définir et rappeler chaque fois que ce ressenti que vous avez, c’est bien vous qui l’avez, que ce que vous vivez à ce moment-là, c’est bien vous qui le vivez. En dehors de tout étiquetage, en dehors de toute classification, en dehors de tous les manuels et de tous les savoirs, osez témoigner de votre vécu car personne d’autre que vous ne le vit à ce moment-là.

Paradoxalement, un séjour à l’hôpital peut être pour vous une occasion unique de vous respecter en acceptant de reconnaître vos besoins de sollicitude les plus profonds.

Pour une conclusion qui n’en est pas une…

Vous avez été opéré

Au début, dans les premières heures, dans les premiers jours, tout semble figé, dur à remuer, douloureux à vivre. Tout pèse très lourd, un doigt, un pied, une paupière. Et puis, avec les jours nouveaux, avec les soins reçus, avec votre collaboration, avec tout le poids et l’énergie de vos ressources, tout s’accélère, reprend une place, retrouve un sens, se relie à nouveau à l’immensité de la vie.


Entendre son corps… au-delà des maux   

Par Jacques Salomé

Accepter d’entendre quelques-uns des messages que notre corps peut nous envoyer, par la médiation de quelques symptômes, tels que mises en maux, dysfonctionnements ou troubles organiques, surtout en période de conflits intimes ou dans certaines phases de changements, me paraît non seulement nécessaire, mais surtout un beau cadeau à se faire.

En effet, notre corps qui est notre compagnon le plus fidèle, (gardons-nous de l’oublier) nous dit, avec ses langages à lui, tels que des “mises en maux”, des oublis, des actes manqués, des émotions soudaines, ce qui ne va pas, ce qui résiste, ou encore ce qui se combat en nous entre plusieurs désirs, différentes tentations ou choix de vie à faire.

Il tente, à sa façon d’attirer notre attention sur ce qui n’est pas en accord, en harmonie dans notre vie et en particulier pour tout ce qui touche à nos relations affectives significatives : parents, mari, femme, enfant, proches… Il veut, soit nous alerter et nous inviter à faire quelque chose en direction de ce qui nous blesse, nous humilie, nous fait peur, nous dérange vers tout ce qui n’est pas bon pour nous, en particulier quand nous le recevons de quelqu’un de trop proche, soit encore nous signaler un seuil de tolérance atteint, une limite franchie.

Nous avons chacun d’entre nous directement (en acceptant d’être à l’écoute des réactions atypiques, inhabituelles de notre corps) soit indirectement de nombreux témoignages et exemples. Il convient bien sûr de les nuancer, de ne pas se laisser entraîner dans des interprétations simplistes ou des reliances tirées par les cheveux, pour tenter de faire la démonstration que « ce rhume qui ne me lâche pas depuis 3 mois, signifie vraiment je ne peux pas sentir la collègue de bureau que l’on m’a imposée ! », ou encore « que ce cancer qui vient de m’être révélé, indique bien que je n’ai pas accepté la mort de ma fille, tuée par un fou du volant qui n’a été condamné qu’à deux ans de prison avec sursis ! ». Au travers d’une somatisation, d’une mise en maux, nous savons que quelque chose d’essentiel tente de se dire.

Dans un premier temps, nous ne savons pas quoi. Il faudra chaque fois un véritable travail d’archéologie intime pour tenter d’entendre ce qui se crie ainsi. Quand il y a le silence des mots se réveille la violence des maux. Cela veut dire qu’il est temps d’être plus attentif, plus présent, d’écouter celui qui est notre meilleur compagnon, celui qui nous accompagnera jusqu’au bout de l’existence : notre corps.

« Durant des années, j’ai eu des infections vaginales à répétition, jusqu’à ce que je réalise que je n’aimais plus cet homme avec qui je vivais, avec lequel surtout, je répugnais à faire l’amour… Mais, avant d’arriver à cette prise de conscience, j’ai beaucoup errée, je me suis défendue, je lui trouvais beaucoup d’excuses, je me sentais anormale et coupable de ne plus avoir de sentiments pour l’homme que j’avais pourtant choisi d’épouser ! »

« J’ai fait des tendinites à répétition jusqu’au moment où j’ai découvert que j’avais au fond de moi, une trouille immense de la compétition et que derrière cela il y avait la peur de décevoir mon père. Chaque veille d’un concours était épouvantable pour moi, je devenais infernal avec mon entourage. Je mettais cela sur le compte de l’excitation, de la peur de ne pas réussir… »

« Je me suis cassé le bras alors que j’étais une hyperactive, toujours dans le faire, pour les autres. Et puis j’ai enfin entendu qu’il était important pour moi d’être un peu plus dans « l’être » en acceptant de me donner plus à… moi-même. J’ai eu beaucoup de mal, car j’avais l’impression d’être égoïste, je me culpabilisais à mort de simplement commencer à moins faire pour les autres et à me respecter dans mes besoins et mon rythme de vie… »

« J’ai une infection oculaire qui a guéri dans la journée, quand j’ai enfin pu accepter de "voir" ma sœur, telle qu’elle était et non comme je voulais la voir ! »

« J’avais chaque fois mal au foie, quand je devais aller, chez mes futurs beaux parents. Ils étaient catholiques et moi protestante. Je sentais bien à chaque visite, combien ils désireraient que je me convertisse à leur foi. Ils mettaient toujours cette question sur le tapis à propos du mariage, des enfants à venir, de l’équilibre dans un couple. Ils me parlaient même de l’Irlande et de la violence issue des conflits religieux… Je sais, je sais, m’écrit cette femme, que cela paraît un trop tiré par les cheveux, mais, figurez vous que lorsque j’ai rompu ma relation avec leur fils, je n’ai plus jamais eu mal au foie ! »

« J’ai eu un lumbago dès la première semaine de mon arrivée dans cette nouvelle ville, où le travail de mon mari nous avait entraînés, moi et mes enfants. Au début je l’attribuais au déménagement, aux cartons trop lourds… J’ai mis cinq ans et des tonnes d’anti-inflammatoires pour enfin comprendre que ce n’était pas mon choix de vie à moi, que j’avais quitté ma famille, mes amis, un travail que j’aimais, pour le suivre lui et que je vivais en état de frustration permanente… Qu’au fond je m’étais trahie, que je m’étais laissée définir par lui, alors que c’est la chose que je déteste le plus… »

Ainsi, au delà des soins que nous pouvons apporter pour l’amélioration d’un symptôme, pour la réduction d’un dysfonctionnement de notre corps, nous pouvons aussi écouter ce sur quoi il tente de nous avertir, de nous réveiller, cela peut être une invitation à nous respecter plus dans nos propres choix de vie ou encore à mieux nous définir, à oser prendre le risque de faire de la peine à ceux que nous aimons, d’avoir le courage de ne pas lier notre besoin d’être aimé ou accepté à des renoncements ou des soumissions.

Il y a cependant un petit problème, cela ne marche pas aussi automatiquement que dans les quelques exemples cités plus haut. Cela n’est pas aussi simple. Nous sommes des êtres complexes, habités de nombreuses contradictions. Il peut arriver que le corps exprime et crache même parfois des automatismes, des répétitions, des réponses réflexes selon les sollicitations de notre inconscient ou de nos conditionnements antérieurs. Je pense, par exemple, faire par tel acte, quelque chose de bon pour moi et contrevenir ainsi à ce que mon père m’a inculqué et que j’ai enregistré comme étant « ce qui doit être fait, ce qui ne doit pas être fait ! », je me trouve alors dans un conflit intime, sans toujours le savoir. Conflit entre un plaisir et un interdit. Il m’appartiendra d’apprendre au cours d’un “travail sur soi”, au cours des ans, à décrypter tout cela… et, c’est passionnant.


Se soigner et guérir   

Par Jacques Salomé

On me demande souvent, s’il y a une différence entre se soigner et se guérir ?

Le plus souvent je réponds : la différence fondamentale entre soigner et guérir, est la même qu’entre soi-nier et gai-rire, ce qui veut dire arrêter de se soi-nier et d’être transformé en soi-niais par des “soi-niants” ! Au-delà de ces jeux de mots un peu faciles, tenter quand même d’en dire plus sur ma compréhension des maladies, de ce mal-à-dire qui nous habite quand nous avons engrangé trop de messages négatifs, trop de violences verbales, physiques ou morales, quand nous avons oublié de nous respecter pu encore quand nous nous sommes laissés trop définir par les autres. Et inviter chacun à entendre les maladies comme des langages métaphoriques et symboliques, confirmer aussi le lien privilégié qui existe entre la qualité des relations significatives que nous avons dans notre vie avec l’état de santé.

Soigner, vu du côté du soignant, (même quand il n’est pas trop un soi-niant), c’est tenter de comprendre la cause, et de résorber, de supprimer, les effets négatifs de cette cause, d’en supprimer les conséquences. C’est vouloir réparer, atténuer, voire détruire le symptôme. C’est essayer d’enrayer la douleur, de diminuer la souffrance ou encore de restaurer un dysfonctionnement ou de prolonger la durée de la vie.

Alors que guérir (vu du côté d’un accompagnant en santé, et de celui qui sera en difficulté de santé), supposera d’essayer d’accéder au sens caché de la maladie. Maladie, entendue comme un langage désespéré, extrême, pour dire et cacher l’indicible d’un conflit, d’un traumatisme infantile ou actuel, d’une situation inachevée. Et donc de permettre à la personne malade, d’entendre ce qu’elle crie (avec des maux). La guérison, au-delà des soins médicamenteux, des traitements chirurgicaux ou médicaux, supposera donc des soins relationnels, qui passent par une écoute de la maladie entendue comme un langage métaphorique ou symbolique, avec lequel nous tentons de dire et de cacher (je le souligne à nouveau) l’indicible. Guérir, dans sa finalité, supposera donc de permettre au malade de retrouver dans son histoire actuelle et passée la blessure originelle qui s’exprime, qui se crie avec un mal-à-dire qu’on appelle une maladie et parfois même une affection.

Curieux terme que celui d’affection, utilisé à la fois pour dire un ensemble de sentiments envers une personne aimée, recherchée, choisie, et pour qualifier un trouble, un dysfonctionnement, une souffrance. Le double sens de ce mot devrait d’ailleurs nous inviter à être plus vigilant, pour tenter d’entendre le sens profond (lié à l’affectivité maltraitée) de certaines maladies.

Guérir, au-delà des soins apportés pour réduire la souffrance, supprimer le symptôme, ou pour atténuer un dysfonctionnement, supposerait de permettre au malade d’entendre enfin, ce qu’il ne peut dire avec des mots, et qu’il va exprimer de façon silencieuse, mais visible avec des maux. Ceci en relation directe ou indirecte avec une blessure ou une violence reçue dans son enfance ou à une période cruciale (de vulnérabilité maximale) lors de son développement. Ou encore de retrouver dans son histoire (à partir d’un travail sur soi relevant d’une démarche centrée sur l’archéologie familiale et intime) les fidélités, les loyautés invisibles, les situations inachevées, les missions de réparation, les injonctions ou les auto-saboteurs qui l’habitent.

La médecine d’aujourd’hui, avec les progrès considérables qu’elle a fait, sait soigner avec une efficacité redoutable et une rapidité qui séduit, nous surprend, nous émerveille ou ne nous étonne plus tant cela est devenu normal, mais elle ne sait pas encore guérir.
On vous enlève un kyste, sans même vous ouvrir le ventre, mais on n’aura pas entendu que ce kyste, par exemple, tente de “parler” d’un enfant dont vous avez avorté et dont vous n’avez jamais parlé à personne. Enfant, qui “tente” à sa façon de se dire, de se manifester, d’exister.

La médecine est devenue de plus en plus technologique et opérationnelle, fonctionnelle et institutionnelle, interventionniste et ponctuelle, elle est de moins en moins relationnelle et intimiste, c’est pour cela qu’elle a beaucoup de mal à guérir. Car guérir serait une tentative pour réconcilier un être humain avec les situations inachevées de son histoire, pour le libérer des violences engrangées autour des pertes et séparations anciennes ou récentes, pour lui permettre de renoncer aux missions de réparations ou de fidélités qu’il a pu se donner dans son enfance, pour l’inviter à un lâcher-prise sur les conflits intra-personnels qu’il entretient, bref pour l’aider à ne pas cultiver en lui, dans son histoire ancienne ou plus récente tout ce qui pourrait être à l’origine de somatisations ou de mises en maux, qui vont blesser son corps, maltraiter son existence.

Pour la plupart d’entre nous, accepter d’entendre que les maladies sont des langages, suppose un “pas de côté”, pour sortir des explications rationnelles, logiques, pour dépasser les liens de causalité et accéder à la part d’irrationnel qui habite chacun et aux changements d’état de conscience qui sont accessibles à tout être humain.

Cela se passe quelquefois au travers d’une rencontre qui se révèle interpellante, bousculante. Il y a ainsi des rencontres magiques, rencontres imprévisibles, inattendues qui se font dans une autre dimension que la rencontre physique, on pourrait appeler cela rencontre d’âme à âme. Cela peut être, aussi, une rencontre physique de personne à personne, mais aussi passer par des lectures, l’écoute et le retentissement d’une phrase entendue à la radio, ou par des échanges et des partages plus structurés, lors d’une session de formation ou d’une démarche de changement dans un groupe d’éveil, de thérapie…

Il appartient à chacun de tenter de se responsabiliser pour rester dans une écoute respectueuse et dynamique des innombrables langages qu’utilise notre corps pour se faire entendre. En se rappelant qu’il est notre meilleur compagnon de vie, que c’est avec lui que nous allons parcourir l’essentiel du chemin et c’est bien avec lui encore que nous irons jusqu’au bout de notre existence. En tentant de rester, ce que je souhaite à chacun le plus vivant, le plus créatif et le plus dynamique possible pour pouvoir passer de l’autre coté, cela s’appelle mourir, toujours vivant et en santé.


C’est psychologique   

Par Jacques Salomé, “Recto-Verseau” 197 – mai 2009

C’est psychologique”, ou encore : “ce doit être psychologique”. Ce terme, cette expression sont devenus non seulement à la mode, mais font l’objet d’une pratique courante, tant au niveau du grand public, que chez le médecin ou les spécialistes de la santé.

C’est psychologique” laisse croire que c’est dans la tête, que c’est dans le psychisme de la personne que cela se passe.

Il y a quelques décennies, au siècle dernier, l’expression la plus courante, celle qui a précédé le “c’est psychologique” était “c’est nerveux”. Cette expression vague, chargée de pouvoir occulte, qu’utilisait parfois ma mère, signifiait surtout que l’homme de l’art se reconnaissait comme incompétent, dépassé, que dans son arsenal thérapeutique… il n’avait rien pour cette affection-là, qu’il fallait voir “ailleurs” dans les zones d’ombre de la personne. Et cet ailleurs devenait un peu inquiétant laissant la famille désemparée et le malade renvoyé à lui-même; ce qui n’était pas mauvais dans un certain sens, mais restait anxiogène, ce qui le rendait parfois de plus en plus nerveux !

Revenons à notre “c’est psychologique” d’aujourd’hui. Beaucoup de malades, quand ils entendent cette expression, la reçoivent presque comme un anathème, avec le sentiment soit que c’est de leur faute, soit que ce n’est pas très sérieux, que cela doit être dans leur imaginaire (nous sommes au pays de Molière !) et donc qu’avec un peu ou beaucoup de volonté, un zeste d’attention ou un minimum de vigilance, eh bien, ils devraient ne pas être malades ou pourraient même se guérir !

Pour moi, cette expression : “C’est psychologique” devrait être banni. Cette expression est doublement dangereuse : pour celui qui la prononce, pour celui qui la reçoit. Pour celui qui la prononce, car elle est généralisante, douteuse, chargée de culpabilisation possible. Il serait plus honnête de reconnaître qu’il se sent démuni pour établir un diagnostic, comprendre le symptôme, pour en saisir les causes et le développement.

Qu’il serait possible de chercher ensemble à quoi le disfonctionnement ou le symptôme renvoie celui qui le porte. Sinon le “test psychologique” devient une sorte de pirouette par laquelle le consultant n’ose dire son impuissance, elle sera renforcée s’il évoque une consultation chez le psychologue (j’ai donc des problèmes) ou chez le psychiatre (médecin des fous !).

Pour celui qui la reçoit, car elle ne l’aide pas, elle ne lui permet pas de faire quelque chose avec, elle le laisse dans l’expectative et l’inquiétude. Le “c’est psychologique” a fait son temps, jetons le aux oubliettes de l’histoire. Depuis quelques années, une autre expression fleurit dans les conversations et les consultations : “c’est psychosomatique”. Ce vocable est plus subtil. Il renvoie à un lien entre le soma (le corps) et le psychique (la tête !).

Au risque de choquer beaucoup, je voudrais dire que cette expression me semble également dépassée. Elle a fait son temps. Gardons-là, comme un repère historique, pour baliser l’évolution de la pensée médicale. Elle représente une notion historique essentielle, qui a permis de faire un pont, d’établir des passerelles entre le corps et l’esprit, entre les manifestations du corps et les conflits intra-psychiques. Elle a permis de sortir des nosographies et de la symptomatologie classiques, d’ouvrir l’éventail pour la compréhension de certaines répétitions et des passages à l’acte somatique. Elle a surtout favorisé une écoute du patient, en le mettant au centre de la scène, en ne le réduisant pas à être un porteur de symptômes.

Je crois donc cette notion dépassée, car elle induit un lien de causalité entre une maladie, un trouble organique, un dysfonctionnement et une cause d’ordre psychique (conflit, stress, perte, séparation…) Cela conduit à considérer le psychologique comme une cause supplémentaire à rechercher au même titre que les autres. Or le modèle linéaire ainsi avancé ne peut traduire la complexité, les liens et le réseau de significations multiples avec lesquels un être existe an monde.

Les mêmes impasses risquent de ressurgir et nous le voyons bien aujourd’hui avec la désaffectation de plus en plus grande du public pour l’approche médicale actuelle.

Je propose donc une autre écoute, une autre approche en avançant que toutes les maladies, les accidents et les passages à l’acte somatiques (1) sont des langages symboliques. Langages métaphoriques ou symboliques avec lesquels une personne tente de dire ou de ne pas dire une blessure relationnelle (2).

Osons quelques prémices autour de cette affirmation : toutes les maladies sont des langages symboliques.

En voici quelques uns :

  • L’état de vie est l’état de santé ;
  • Nous sommes partie prenante dans tout ce qui nous arrive ;
  • Notre corps est notre compagnon le plus fidèle. Il émet en permanence des signaux: joie, confiance, abandon ou ouverture, mais aussi peur, refus, retrait ou fuite ;
  • Que ces messages peuvent être décodés et entendus à l’intérieur d’une histoire, d’un parcours de vie, dans un système relationnel spécifique à chacun (3). La souffrance peut devenir plaisir quand elle entre dans des enjeux relationnels pervers, dans des jeux sexuels ou la pratique de certains sports, elle a sa part dans la création artistique, le dépassement de soi. Une douleur peut être le signal d’un désordre, ou une demande de repos, d’intervention, elle peut être paralysante ou désespérante comme les prémices de la mort.

Mais l’unité organique de la personne est assurée par la libre circulation de messages internes. Si ces liaisons sont bloquées, le corps utilise des signaux externes qui l’épuisent. La trame de vie peut s’user, se détériorer à plusieurs endroits et ainsi apparaissent des lieux de fragilisation, des zones sensibles par lesquelles la vie s’écoule ou s’épuise et par lesquelles aussi la violence ou la mort peuvent entrer.

En considérant les maladies comme des langages symboliques, il ne s’agit plus seulement de chercher la cause, de repérer l’élément déclencheur, il y en a d’ailleurs toujours un. Il faudra aussi en chercher et en entendre le sens. C’est-à-dire en retrouver l’origine du message ainsi envoyé.

Cette recherche n’est pas aisée, car elle nous oblige à changer de regard, à modifier nos processus mentaux. Elle nous invite comme soignant à ne pas être des “soi-niant !” ou comme thérapeute non seulement à écouter la personne, mais à écouter aussi le sens allégorique des symptômes (ce qui était déjà fait dans l’approche psychosomatique). Elle nous invite à proposer au malade de se relier à son histoire actuelle (contemporaine), mais aussi à son histoire passée, à se prolonger dans l’histoire de ses parents (communication verticale ou trans-générationnelle), cela sur deux ou trois générations ou plus (4).

À entreprendre ainsi un véritable travail d’archéologie intime pour retrouver les messages reçus, les missions attribuées, les injonctions subies ou prises, les fidélités et les loyautés invisibles qui ont tissé notre existence.

Dire que les maladies sont des langages symboliques, c’est ne plus porter l’accent uniquement sur le psychique mais sur le relationnel. C’est tenter de comprendre l’être vivant dans ses multiples ramifications. De le percevoir comme émetteur et récepteur d’une foultitude de messages qui le prolongent jusqu’aux confins de l’univers.

Dans cette perspective l’établissement d’un diagnostic, la possibilité de proposer un traitement et d’établir un pronostic se ferait autour d’un nouveau concept, celui de soins relationnels.

Avec Balint et ses successeurs, l’accent avait été mis sur la relation médecin-malade, en invitant les soignants à se mettre à l’écoute du retentissement en eux-mêmes de la maladie ou des comportements du malade à leur égard. Ceci pour leur permettre de mieux utiliser leurs propres affects dans l’accompagnement thérapeutique, de déjouer quelques-uns des pièges du contre-transfert.

Je propose un dépassement de ces notions, en mettant en place les jalons d’une méthodologie possibles des soins relationnels. Cela supposera que le soignant accepte de prendre sur soi – non la souffrance et les enjeux de la maladie – mais d’avoir de la rigueur face à une démarche difficile, parfois douloureuse, car chargée de résonances et de retentissement pour lui.

J’appelle soins relationnels à partir d’une écoute active, non seulement des symptômes, mais de l’histoire du malade, un ensemble de gestes, de conduites, de comportements, de propositions symboliques et de mise en mots que tout soignant peut proposer à une personne en difficulté de santé pour tenter :

  • De lui permettre de mieux se relier à sa maladie justement en se différenciant d’elle. « Je ne suis pas un leucémique, je suis porteur d’une leucémie ». « Je ne suis pas un diabétique, je suis atteint de diabète » ;
  • D’accéder au sens de sa maladie en tentant de retrouver la blessure Originelle ;
  • De se relier à son traitement et d’établir avec lui, une relation positive (combien de malades ont avec leur traitement une relation négative !) ;
  • De clarifier les relations significatives avec leur entourage et de comprendre l’impact de son “affection” sur eux ;
  • D’établir des reliances avec l’histoire de ses géniteurs et de ses ascendants. « Qu’est-il arrivé au même âge à mes parents ? ».

En développant les soins relationnels, je pense qu’il sera non seulement possible de mieux soigner… mais aussi d’envisager de guérir, de rééquilibrer la santé.

Je ne souhaite pas qu’un jour en parlant d’une maladie ou d’une somatisation, on dise “c’est relationnel” ou “c’est psycho-familial !” Je souhaite seulement que chacun se donne les moyens de se mettre à l’écoute de son corps, et de la façon dont celui-ci parle, dont il crie. Que l’on puisse entendre les maladies comme des langages qui méritent d’être écoutés avec le même respect, la même intensité que les langages élémentaires, comme les langages verbaux et non-verbaux.