Ne jamais laisser croire à un enfant que ses désirs sont tout puissants…
Pas plus que les nôtres d’ailleurs

Quand un enfant nous parle, le plus important n’est pas d’écouter ce qu’il dit, mais d’entendre comment il vit, ce qu’il dit.

Être à l’écoute réelle d’un enfant, c’est accepter d’être à l’écoute de l’enfant qui est en nous à chaque instant.

C’est un beau cadeau à faire à nos enfants de leur permettre de découvrir que derrière toute peur, il y a un ou plusieurs désirs qui tentent de se faire entendre.

Osons dire à nos enfants “je ne vous aime pas pareil” et à chacun “l’amour que j’ai pour toi est unique”.

Avec un enfant, chaque fois que je peux proposer, expliquer et dialoguer, je serais moins tenté d’exiger, de contraindre ou d’imposer.

Parfois, les parents font les enfants, mais toujours les enfants font les parents.

Au-delà de l’amour, un enfant a surtout besoin d’une relation claire, au bout de laquelle il y a un adulte consistant.

Je rêve d’un jour proche où la communication et les relations humaines seront enseignées à l’école.

Un enfant attend plus des adultes de demandes et de positionnements clairs que de manifestations d’amour envahissantes ou réductives.

Comme parents, nous avons à répondre aux besoins de nos enfants. Nous n’avons pas à satisfaire tous leurs désirs.

La relation “en-saignant en-saignée” est une des plus douloureuses de l’enfance.

L’amour parental est le seul amour que nous offrons à un enfant pour lui permettre un jour… de nous quitter.


Prière secrète d’un enfant à sa mère et à son père  

Par Jacques Salomé

Maman, Papa,
je vous en supplie,
ne me laissez pas croire
que mes désirs sont tout-puissants.

Maman, Papa,
je vous en prie,
prenez le risque de me frustrer
et de me faire de la peine,
en refusant certaines de mes demandes.

Maman, Papa,
c’est important, pour moi,
que vous sachiez me dire non,
que vous ne me laissiez pas croire
que vous pouvez être tout pour moi,
que je peux être tout pour vous.

Maman, Papa,
surtout entendez mes désirs,
mais n’y répondez pas tout de suite.
En les satisfaisant trop vite…
Vous risquez de les assassiner.
Confirmez-moi que j’en ai,
qu’ils sont recevables ou irrecevables,
mais ne les prenez pas en charge
à ma place.

Maman, Papa,
s’il vous plaît,
ne revenez pas trop souvent sur un refus,
ne vous déjugez pas.
Pour que je puisse ainsi découvrir
mes limites et avoir des repères clairs.

Maman, Papa,
même si je réagis, si je pleure,
si je te dis à toi, Maman, “méchante et sans cœur…”, reste ferme et stable.
Cela me rassure et me construit.
Si je t’accuse toi, Papa, “de ne rien comprendre”, ne m’enferme pas dans mes réactions.

Maman, Papa,
par pitié, même si je tente de vous séduire, résistez.
Même si je vous inquiète, ne vous soumettez pas.
Même si je vous agresse parfois, ne me rejetez pas.
C’est comme cela que je pourrais grandir.

Maman, Papa,
vous dire aussi à chacun que
je ne suis que votre fils, votre fille.


Le plus beau des cadeaux  

Par Jacques Salomé

J’avais écrit il y a quelques années un texte dans lequel je racontais qu’en échangeant quelques mots au téléphone avec une de mes filles, j’avais découvert, que le plus beau des cadeaux, qu’elle souhaitait recevoir de ma part ne portait pas sur un objet, un nouveau vêtement, un bijoux ou un parfum, mais simplement sur un peu plus de ma présence, de mon attention, de mon temps et une confirmation qu’elle était importante pour moi, que le lien existait toujours, qu’il n’était pas dévitalisé. J’ai trouvé que c’était une belle demande et je ne l’ai jamais oubliée.

Mais parfois et malgré leurs demandes ou leurs attentes, malgré toute l’attention, les manifestations d’amour ou d’intérêt que nous pouvons avoir à leur égard cela n’est pas toujours bien reçu.

Nos enfants devenus adultes s’éloignent ou se rapprochent de nous, aux grès des séquelles d’un passé encore chargé de contentieux, ou de leurs questionnements intimes, des urgences qui surgissent dans leurs vies, de leurs choix de vie aussi, ou encore, de ce qui se réveille en eux de leur histoire dans leur quotidien.

Ainsi une demande d’attention peut contenir deux messages qui peuvent sembler antagonistes, mais qui ne s’annulent pas. Deux demandes contradictoires, comme souvent un ex-enfant, devenu adulte est capable d’en faire à l’un ou l’autre de ses parents.

La première des demandes peut s’entendre : « Je ne suis plus une enfant, arrêtez de m’appeler pour me demander si je vais bien (sentiment d’être contrôlé), ne me demandez plus si j’ai besoin de quelque chose (mise en dépendance), ne m’offrez plus de cadeaux (mise en dette), arrêtez de trop me donner (car je ne peux plus demander). Je suis autonome, je n’ai plus besoin de soins, de prise en charge, je sais faire face à mes besoins, je m’offre ce que je veux… »

L’autre versus de la demande peut être : « J’ai quand même besoin de manifestations d’amour, de tendresse, de contacts directs, mais je ne veux pas en demander trop directement, c’est à vous de l’entendre et d’y répondre, en prenant même le risque de mes refus et de mes réticences… »

Beaucoup des demandes, que nous font nos enfants devenus adultes, sont ambivalentes, trop chargées de ressentiments, de reproches, de tentatives de culpabilisation et d’insatisfactions.

Je crois, qu’au travers de quelques-unes de ces demandes contradictoires, les ex-enfants vérifient en fait le lien. Ils s’assurent qu’il est toujours là, ils vérifient sa solidité, en tirant dessus, quelquefois violemment pour le mettre à l’épreuve !

À notre bout du lien, ils tentent de nous faire passer le message suivant : « Je suis grand, je n’ai plus besoin de vous, et d’ailleurs je vous en veux, car vous ne m’avez pas toujours compris, pas aimé comme je l’aurais souhaité, pas reconnu tel que j’aurais voulu l’être… »

À leur bout du lien, ils murmurent : « J’ai encore besoin de vous, vous êtes importants pour moi, mais je ne veux pas lâcher encore toutes mes rancœurs ou mes accusations, mais entendez au moins que j’ai besoin de votre attention, de votre présence, de votre amour, même si je suis capable de les refuser ou de les maltraiter ! »

Alors si j’ai compris cela, je peux remercier mon enfant de m’avoir alerté. Je peux lui témoigner que je suis capable de l’accueillir et de partager ma tendresse avec lui. Il prendra mon invitation ou pas.

À mon bout, je lui témoigne que j’ai entendu, l’essentiel du message (l’attente et la demande) que je ne me laisse pas paralyser par l’autre partie (le refus ou le rejet).

Ainsi puis-je leur confirmer que le lien est toujours là, qu’il est solide, qu’il n’est pas blessé par les contradictions et les ambivalences qu’ils éprouvent, qu’il est toujours disponible… à mon bout de la relation.

Si nous avons compris cela, qu’il s’agit pour eux de vérifier si le lien aux parents est toujours solide, nous n’avons qu’une réponse : « viens, viens quand tu veux, viens pour pouvoir partager le meilleur de toi et de moi. »

Il n’est pas certain que notre enfant (à son bout de la relation) prendra l’invitation, mais (à notre bout) nous avons fait ce qu’il était souhaitable de faire. Témoigner que nous sommes là, que quel que soit leur âge ils sont toujours nos enfants et que nous resterons leurs parents pour l’éternité.


Les nouveaux pères  

Par Jacques Salomé

La rumeur est bien implantée, elle circule avec constance « il y aurait des nouveaux pères ! » Des pères pas comme les autres, pas comme ceux d’un passé encore récent, des pères complètement différents de tous ceux que nous, les pères d’hier, avions connus et parfois redoutés.

Tout se passe comme si des hommes d’une espèce particulière, doués de qualités et de ressources jusqu’alors inconnues ont fait leur apparition dans certains couples.

À quoi pouvons-nous les reconnaître ? Eh bien, tout d’abord au fait qu’ils ne sont pas du tout (ou très peu) des pères, mais qu’ils se comportent surtout en papa ! Des papas gâteaux, des papas cool, Mac Do, des papas copains, joueurs, parfois (souvent) trop laxistes sur le plan des exigences au quotidien.

On peut les reconnaître aussi à certains comportements qui révèlent la part de féminin qui est en eux et qu’ils ne cachent plus, qu’ils s’autorisent au contraire à montrer, à vivre.

Dire encore qu’ils sont (en général) des maris présents, attentifs sinon attentionnés, actifs aux cotés de leurs épouses, participants non seulement aux tâches ménagères et à la gestion de la maison, mais à l’élevage de leurs enfants. Le mot élevage étant pris ici dans son sens le plus noble, celui l’élever, de faire grandir un petit d’homme. Ces nouveaux pères sont peu interventionnistes, peu répressifs, redoutent d’avoir à interdire, à punir, à se positionner justement dans leur fonction de père, qui serait faite de plus de vigilances, d’exigences, de contraintes ou d’interdits.

Ils se sentent souvent sur la même longueur d’onde que leurs enfants, semblent ne pas avoir grandi suffisamment pour s’imposer ou se manifester avec autorité.

Ces pères ne fuient pas les questions, ni les échanges, répondent ou plutôt donnent des opinions, mais ont du mal à transmettre des valeurs, à témoigner d’une loi qui fasse contrepoids à des désirs, qui puisse baliser la relation au monde de leurs enfants.

Ils ont du mal à dire non, préfèrent rester dans une relation de bienveillance, de gratification, pour ne pas être vus comme mauvais (ou semblables à leur propre père qu’ils ont parfois haï et rejeté).

Les enfants de ces nouveaux pères ont eu aussi des spécificités bien précises. Ils se sentent plus libres, mais aussi plus insécurisés, plus malins dans le sens de plus habile à utiliser, la vulnérabilité apparente de leurs pères. Ces enfants pratiquent sans beaucoup d’hésitations ou états d’âme les transgressions, naviguent au plus près entre les règles et les règlements, savent éviter la confrontation avec la réalité, sans avoir à subir les conséquences de leur comportement, sans avoir un prix à payer. Ces enfants ne redoutent ni les menaces, ni les sanctions ou les punitions.

Les nouveaux pères ne font pas peur, et ils sont rarement des modèles. Ils sont fréquemment disqualifiés par leur épouse, qui leur reprochent de ne pas “avoir d’autorité, de laisser tout faire”, de les obliger à être trop mères (pour compenser) pas assez mamans qui auraient envie d’être compréhensives, gratifiantes auprès de leurs enfants, alors qu’elles doivent rappeler les devoirs, la toilette, la tenue à table, le langage, les règles élémentaires de politesse…

L’attitude des femmes reste ambivalente à l’égard de leurs partenaires. Elles apprécient à la fois la présence, l’aide ou le soutien et sont mal à l’aise face aux carences, au non-interventionnisme de leur co-parent, qu’elles doivent assumer.

Peut-être des ajustements, et au delà des mises au point, des engagements nouveaux devront-ils être pris par les hommes en désir d’être père !


Car nous venons du pays de notre enfance…  

Par Jacques Salomé

Le seul pays, dont nous sommes réellement issus, et qui marquera à jamais la vie de chacun, est le pays de notre enfance. Nous venons tous de ce pays. Mais certains enfants vont avoir un double ancrage. Des racines du côté des parents, bercées par une force de vie puissante, liées à des images au goût ancien, des odeurs spécifiques, un exotisme d’autant plus rare qu’il se nourrit à la nostalgie d’un passé inachevé. Ces racines encore implantées au pays des origines vont diffuser chez les enfants de l’immigration, une sève profonde qui circulera subtilement dans leurs corps mais qui risquera d’entrer en concurrence, en conflit de fidélité avec d’autres odeurs, d’autres images, une réalité plus présente associée au pays d’accueil de leur propre enfance.

Chacun de ces pays a un nom, une histoire, des valeurs, et quelles que soient les conditions dans lesquelles leurs parents ont quitté leur propre pays, quelles que soient les conditions de leur implantation nouvelle dans le pays d’accueil. Ces pays, même s’ils sont antagonistes, vont sécréter, chez les parents, chez leurs enfants des fidélités, des amours, des liens tenaces et nécessaires, mais qui peuvent se révéler parfois contradictoires, et même entrer en rivalité ou en conflits.

Je voudrais m’adresser justement à ces enfants de l’immigration parentale, pour qu’ils puissent accepter de témoigner d’une double fidélité. Une fidélité possible au pays de leur enfance, sans avoir le sentiment de trahir leur fidélité au pays d’enfance de leurs parents. En les invitant à se respecter dans la diversité de leurs ressentis.

L’enjeu pour chacun sera, dans la possibilité de faire cohabiter deux fidélités : fidélité à soi, à leur histoire présente, fidélité à des êtres chers, à une histoire passée. Et pour illustrer ma proposition j’ai imaginé cette petite histoire…

Il était une fois, un petit garçon et une petite fille qui étaient nés dans un pays diffèrent de celui de leurs parents. Ils avaient été élevés à la fois dans le souvenir de ce pays et dans la réalité de leur nouveau pays d’accueil. En eux circulaient des messages de vie d’origines différentes qui, dans les premiers temps de leur existence, dans l’intimité du cocon familial, avaient pu grandir et cohabiter de façon harmonieuse, nourrissante et bienfaisante.

Et puis en grandissant ces messages se révélèrent contradictoires, souvent antagonistes, parfois conflictuels. Chacun des enfants, fût à un moment donné ou un autre, confronté à un conflit de fidélité entre son besoin d’être fidèle à des “pairs”, c’est-à-dire ses semblables de l’école, du quartier, du village et son désir de rester fidèle à ses “pères”, à ses ancêtres.

Un jour ils rencontrèrent un homme qui avait lui-même traversé ce conflit, dans sa propre histoire et qui leur présenta avec beaucoup d’émotion, un pot dans lequel était planté un tout petit arbre.

Cet arbre est un ginkgo biloba, leur dit-il, un des plus vieux arbres du monde, on dit qu’il a même résisté à l’explosion nucléaire qui détruisit Hiroshima. Je l’ai planté dans deux terres différentes, une terre que j’ai fait venir du pays de mes parents et une terre de ce pays où je suis né.

Les enfants demandèrent :

- Mais alors, il devra rester toute sa vie d’arbre dans ce pot ?

- Non seulement pour s’apprivoiser, car il mettra longtemps, longtemps pour devenir un arbre adulte…, mais pour l’instant il a besoin de ces deux terres pour croître. Plus tard je trouverai un lieu pour lui donner un espace et une place pour lui seul. Cet arbre symbolise mon besoin de nourrir mes racines aux deux sources culturelles dont je suis issu…

Quelques mois plus tard, le garçon et la fille firent venir du pays de l’enfance des parents un gros sac de terre qu’ils se partagèrent… Ils trouvèrent plus difficilement de la terre sous leurs pieds, car il n’y avait que du macadam dans leur cité, pour la mélanger à celle qu’ils avaient reçue.

On dit que deux beaux arbres prirent racines dans ces terres mélangées et qu’un jour ils seront plantés dans un parc de leur ville…

Oui nous venons du pays de notre enfance et même si nous sommes imprégnés du pays de l’enfance de nos parents, c’est bien de notre enfance dont nous sommes issus.


Charte de vie relationnelle pour des parents divorcés…  

Par Jacques Salomé

Il semble qu’aujourd’hui deux couples sur quatre se séparent, et qu’environ 27% des enfants vivent dans des familles monoparentales. Je reçois beaucoup de courrier de femmes et d’hommes séparés, m’interpellant sur leurs difficultés à poursuivre une relation qui ne soit pas conflictuelle, qui soit suffisamment apaisée pour pouvoir assumer au mieux la poursuite du lien parental, trop souvent malmené par les conséquences affectives, matérielles et psychologiques d’un divorce. A ceux-là qui naviguent au plus prés entre ressentiments, compromis, tentatives d’accords et conduites réactionnelles aux provocations ou maladresses de l’un ou de l’autre, je dédie cette charte.
  • Rappeler que le divorce ou la séparation de deux parents est la rupture du lien conjugal et non celui du lien parental. Même si certains partenaires en profitent pour renoncer à leurs engagements envers les enfants qu’ils ont eu dans cette relation-là, tenter malgré tout de maintenir le lien… parental !
  • Que si on se sert des enfants pour poursuivre le conflit, entretenir une relation fictive ou tenter de faire pression sur l’autre, c’est que le travail de deuil lié au divorce n’a pas été fait et que cette situation renvoie à des blessures personnelles plus anciennes.
  • Tout membre d’un couple séparé aura à prendre soin d’au moins trois relations.
  • Une relation parentale entre eux, pour se parler, communiquer et parfois se rencontrer à propos de leurs enfants.
  • La relation maternelle (pour la femme), en restant fidèle aux deux grandes fonctions qui lui incombent : la fonction “mère” et la fonction “maman”, sans prendre sur elle de remplacer le père absent, de parler en son nom ou de le disqualifier ou le magnifier.
  • La relation paternelle (pour l’homme), en restant fidèle aux deux grandes fonctions qui lui incombent à savoir être “père” et “papa”, sans se laisser envahir par la fonction papa (plus gratifiante, moins frustrante que la fonction père, en étant trop tenté de se présenter comme un papa cool, laxiste et copain, and il ne voit que ses enfants deux week-ends par mois et la moitié des vacances scolaires dans le meilleur des cas !)
  • Pour chacun (si c’est le cas) prendre en charge la relation intime, privilégiée qu’il aura éventuellement avec un(e) nouveau (nouvelle) partenaire, sans tenter de faire jouer au nouveau venu, le rôle du parent absent… Cette relation (amoureuse, de compagnonnage ou conjugale…) ne sera pas à mettre sur le même plan que la relation avec les enfants. Etre tenté de leur dire : « Je donne la priorité à mes enfants (ou à mon ami(e)) », c’est risquer de créer une grande collusion, en mettant le nouvel arrivant sur le même plan que les enfants. Il s’agit bien de deux relations différentes.
  • Rappeler que les parents séparés, tout comme les parents non-séparés, sont là pour répondre aux besoins des enfants (et cela jusqu’à un certain âge, car ensuite ce sont les enfants qui y répondront eux-mêmes !), mais qu’ils ne sont pas là, pour satisfaire tous leurs désirs !
  • Qu’il y a un engagement de vie à accompagner, à soutenir le grandissement, l’épanouissement, ou le devenir d’un enfant, qui a été conçu par deux adultes, même si aujourd’hui ils sont séparés. Au delà des besoins de sécurité et de survie, il y a des besoins affectifs, relationnels importants qu’il appartient à chacun des parents d’entendre et de satisfaire : besoin de se dire, d’être entendu, reconnu et valorisé.
  • Il ne s’agit pas pour l’un ou l’autre des ex-conjoints ou ex-partenaires de vie, de se servir de cette charte pour faire la leçon ou laisser croire que l’un est plus conscient que l’autre de ses devoirs. Il paraît plus important d’y faire référence pour soi-même, et de s’affirmer (pour la femme), non comme une ex-épouse frustrée, revendicatrice ou accusatrice, (ni pour l’homme) ou de tenter de saboter, d’envahir, ou au contraire de fuir, de punir son ex-épouse ou compagne, en se servant des enfants pour continuer un jeu de pouvoir ou de victimisation, mais d’apprendre à se positionner comme un adulte face à un autre adulte avec une conscience, au présent, des responsabilités qui incombent à chacun face à leurs enfants.

Les enfants du désir  

Par Jacques Salomé

Ils sont partout, de plus en plus nombreux ces enfants du désir, avec leurs attentes impatientes, leurs exigences tous azimuts, leurs besoins insatiables de consommer, de satisfaire des désirs toujours de plus en plus grands, de plus en plus variés. Tout ceci face à un environnement qui va à un certain moment les décevoir, les blesser par ses réponses, face à un monde qui va les frustrer et qu’ils vont alors rejeter ou agresser.

Ces enfants du désir, en effet ont un seuil de frustration tellement bas que toute rencontre avec la réalité sera perçue par eux comme une agression, à laquelle ils vont répondre par des actes asociaux, des comportements excessifs, de la violence ou encore par une fuite vers des univers virtuels, magiques, par des dépendances (prise de drogue) qui les coupent de la réalité.

J’appelle enfants du désir, ces jeunes élevés par des parents, qui n’ont pas toujours entendu qu’ils étaient là pour répondre en priorité aux besoins de survie (soins, sécurité, santé) mais aussi et surtout aux besoins relationnels (capacité à communiquer), aux besoins affectifs (capacité à s’aimer et à aimer) de leur progéniture. Des parents qui se sont laissés leurrer ou abuser eux mêmes en répondant trop vite aux désirs de leur garçon ou fille, en croyant qu’il ne fallait pas les frustrer, en pensant peut-être qu’ils auraient la paix avec eux.

Une des erreurs pédagogiques les plus importantes dans lesquelles se sont laissés entraînés de nombreux parents, depuis plusieurs décennies c’est d’avoir oublié qu’ils étaient là non pas seulement pour aimer leurs enfants, mais pour leur apprendre à s’aimer, pour servir de filtre, de pont, de passerelle afin de les aider à passer du monde de l’enfance au monde des adultes, pour leur permettre de développer une autonomie suffisante et leur donner la possibilité de se confronter aux exigences et aux frustrations inévitables qu’ils rencontreront nécessairement dans leur vie quotidienne au présent et encore plus dans leur vie à venir.

Des enfants qui auraient eu besoin d’avoir devant eux des adultes consistants qui tout en ayant répondu (dans un premier temps) aux besoins de leurs enfant, leurs auraient donné les moyens d’y faire face par eux mêmes par la suite. Des adultes ayant une sécurité émotionnelle suffisante pour pouvoir confronter leurs enfants à la possibilité d’énoncer des désirs en sachant que ceux ci ne seront pas tous réalisables, qu’ils auront à faire des choix, qu’ils devront se donner les moyens d’en satisfaire certains quand ceux ci sont recevables et viables. Des adultes qui donneront à leurs enfants la possibilité de se confronter à des devoirs, à des contraintes, à des limites et à des interdits pour leur permettre de s’inscrire dans un projet de vie où ils seront partie prenante et responsables de ce qu’ils feront avec tout ce qui leur arrivera ou qui surgira dans leur existence à venir.

Le piège le plus redoutable, dans lequel se sont laissés enfermer de nombreux parents, c’est de ne pas avoir saisi qu’en satisfaisant trop les désirs, ils en oubliaient de prendre en compte les attentes relationnelles et affectives vitales de leurs enfants et que ceux ci paradoxalement risquaient de devenir des frustrés permanents, des insatisfaits désorientés, courant après de vaines réponses autour de leurs désirs, alors que c’est dans leurs besoins profonds qu’ils ne sont pas entendus.

Je pense plus particulièrement à certains besoins relationnels trop méconnus ou ignorés (besoin de se dire, d’être entendu, d’être reconnu, valorisé, de disposer d’une intimité et d’avoir une influence sur son environnement proche sans être obligé d’utiliser la violence ou d’établir des rapports de force). Il s’agit là des besoins relationnels avec lesquels un enfant construit sa relation au monde, dont la satisfaction lui donne un équipement communicationnel susceptible de pouvoir vivre au mieux avec les quatre ancrages relationnels qui lui seront indispensables dans sa relation aux autres. A savoir : pouvoir demander, donner, recevoir et refuser en réciprocité.

Les enfants du désir risquent de devenir instables, d’être agités, avides de consommer ou capables de s’enfermer dans des addictions, de fuir vers des univers magiques, de chercher pathétiquement des identifications irréelles pour survivre, pour avoir le sentiment d’exister. Au niveau du demander, ils ne seront ni dans la demande ni dans la proposition mais dans l’exigence. Au niveau du donner, ils ne seront pas dans l’invitation ou l’offre mais l’imposition. Au niveau du recevoir, ils ne seront pas dans l’accueil, mais dans le prendre, dans l’appropriation. Au niveau du “refuser”, ils ne seront pas dans l’affirmation ou un positionnement ouvrant à la confrontation, mais dans le rejet, le refus, la négation ou le déni débouchant sur l’affrontement et le conflit.

Ces enfants nous les voyons arriver depuis quelques années à l’école. Ils ont beaucoup de difficultés à fixer leur attention, à ne pas fuir dans l’agitation, à accepter des règles aussi minimes soient elles, à s’engager dans un suivi, à respecter des contraintes ou des engagements. Ils ont beaucoup de résistances pour se socialiser, se confronter aux attentes et aux partages liés à la vie en commun, à limiter ou à différer leurs exigences, à accepter de ne pas être au cœur de l’intérêt des autres, de ne pas être vus comme le centre du monde, bref, ils ont beaucoup de mal à s’inscrire dans le mouvement de la vie sociale faite de gratifications possibles mais aussi de limites, d’interdits, de plaisirs différés et de frustrations diverses.

Certains de ces enfants sont, sinon totalement, du moins profondément, inadaptés au monde scolaire tel qu’il est conçu pour des enfants qui ont un minimum de sécurité intérieure (quand on a répondu à leurs besoins relationnels et affectifs), qui ont un minimum de socialisation (quand on leur a transmis quelques règles d’hygiène relationnelle) et qui ont une aspiration à s’intégrer, à participer à un travail en commun, (quand la vision du présent est suffisamment balisée et paisible) qui ont le souci de se projeter dans l’avenir en s’identifiant à un métier, une passion, une image de soi offerte au futur. Ces enfants face à des enseignants qui leur proposeront l’acquisition et l’intégration d’un savoir et d’un savoir faire, se rebellent, fuient ou encore multiplient les passages à l’acte (violence et auto violence). Cela se traduit aujourd’hui par le décrochage scolaire et professionnel, par des agressions verbales et physiques, par des destructions de matériel, par l’invasion d’une économie parallèle qui mobilise beaucoup de leurs intérêts (taxage et racket, vols, dépouille…).

Comme leur besoin d’appartenance, d’identification reste vital, surtout à l’adolescence, nous les voyons apparaître avec des accoutrements invraisemblables, des tatouages, des perçages (piercing) des comportements de transgression pour tenter d’exister.

Ces ex enfants, ces “adultolescents” nous les voyons déjà arriver dans le monde du travail avec parfois chez eux une quasi impossibilité de faire face à des contraintes banales (arriver à l’heure, ranger un dossier, tenir un engagement minima, assumer une contrainte…)

Ces ex-enfants seront les parents de demain. Comment exerceront ils les grandes fonctions parentales (maman, mère et papa, père), comment apprendront-ils à leurs propres enfants les exigences minimales de la vie familiale et sociale ?

Il ne s’agit pas de rester dans la dénonciation ou de désespérer, seulement peut être de se réveiller, d’oser se responsabiliser comme adultes, que nous soyons parents ou non, enseignants ou accompagnants d’enfants. Peut-être y aura-t-il un jour des écoles à la parentalité, peut-être y aura-t-il un jour un enseignement de la communication relationnelle, de la communication sans violence à l’école  ? Un enseignement considéré comme une matière à part entière, ce qui supposerait des enseignants non seulement formés à la transmission d’un savoir et d’un savoir faire, mais aussi formés à la transmission d’un savoir être, d’un savoir devenir, d’un savoir créer, autant de savoirs relevant d’une formation à la communication autour de quelques règles d’hygiène relationnelle.


Comment survivre à la mort d’un enfant  

Par Jacques Salomé, “Générations Plus" – mai 2012 – n° 35

Que ce soit la mort d’un de nos enfants ou celle d’un enfant proche ou inconnu, leur disparition lente ou brutale, prévisible ou attendue, est une violence insupportable, inacceptable pour chacun d’entre nous.

Il n’y a rien de plus injuste que la mort d’un enfant, car c’est une part d’humanité en gestation qui s’éteint, une part d’avenir en expansion qui disparaît.

Il n’y a rien de plus déstabilisant que d’éprouver, d’être accablé par notre impuissance face à la volonté inexorable de la mort, par le surgissement brutal de cette injustice imprévisible.

C’est pour cela qu’il est d’autant plus nécessaire d’être présent, d’accompagner, de déposer toutes les tendresses d’un regard, d’esquisser un dernier geste, d’offrir un mot, sur un enfant que la maladie va emporter, d’un petit garçon ou d’une petite fille qui s’éloigne, qui va nous quitter à jamais.

Il n’y a rien de plus important que de rassembler, de recueillir, de garder au plus précieux de notre mémoire, tous les souvenirs qui reviennent nous bousculer, nous émerveiller et nous désespérer aussi. Ceux des premiers sourires, des premières paroles, des premières tentatives pour rester debout, des premiers risques pris avec tant de courage, par un enfant, pour s’élancer à la conquête de l’existence. De préserver nos propres rêves à leur égard avec lesquels nous anticipions tant et tant de plaisirs, de projets, de réussites, avec lesquels nous bâtissions notre avenir de parents, de grands-parents, en donnant à ce futur les couleurs de l’amour.

Il m’arrive parfois d’imaginer le vécu douloureux des parents qui ont ainsi perdu un enfant, tout le désarroi qui les traverse, qui déchire l’intime de leur chair, dévaste leurs pensées, aboli leurs propres élans de vie.

Et puis, progressivement, mieux conscientiser que le cycle de la vie se poursuit, que l’existence continue d’avancer chaque jour vers son propre devenir.

J’enseigne qu’il est possible de poser quelques actes symboliques, qui vont permettre aux adultes, parents ou proches, de traverser ce deuil qui semble impossible à faire dans un premier temps.

Nous avons besoin de nous respecter, de nous retrouver, en ne gardant pas une violence vécue comme destructrice.

Violence qui se dépose en nous et qui prendra de plus en plus de place si nous la gardons à l’intérieur. Violence qui sera l’équivalent d’une bombe à retardement si nous la laissons se développer. Il appartiendra à chacun des membres de la famille, de trouver un objet (chacun le trouvera et le reconnaîtra comme étant susceptible de représenter, de symboliser donc, cette violence reçue). Pouvoir faire un paquet pour envelopper cet objet et mettre dedans un mot d’accompagnement qui pourrait exprimer quelque chose comme ceci : « À travers cet objet je te remets la violence que m’a faite ta mort. Je ne veux pas continuer à la porter en moi, car elle me brutalise trop… »

Cette étape est la plus difficile à faire, car nous avons beaucoup de réticences, d’alibis mentaux pour nous dire : « mais ce n’est pas la faute de mon enfant, il ne m’a jamais fait violence, il n’y est pour rien, il est mort à cause de sa maladie, de ce chauffeur ivre qui l’a heurté, de celui qui l’a bousculé à la sortie de l’école quand sa tête a touché le bord du trottoir, de la route trop glissante quand sa moto a dérapé, de sa petite amie qui l’a quitté alors qu’elle lui avait dit quelques jours avant qu’elle l’aimait… ».

Oui, au-delà de toute cette réalité, découvrir et accepter que c’est la mort de l’enfant qui nous fait violence est la prise de conscience la plus importante. Ensuite, oser ce qui peut apparaître comme un rituel vain, mais qui se révélera très chargé de sens, aller déposer ce paquet sur la tombe de l’enfant.

Ensuite, dans un deuxième temps, symboliser tout l’amour que nous lui aurions donné dans les trente, quarante ou cinquante prochaines années s’il avait vécu. Symboliser à travers un dessin, une peinture, un modelage, une sculpture, bref ce qui sortira de vos doigts, cet amour. Amour qui est inemployé, en suspens, en attente chez l’un ou l’autre des parents que nous sommes.

Et là aussi, aller déposer ce dessin, cette peinture, cette mini sculpture sur la tombe de l’enfant.

Ultime et permanent témoignage de notre amour pour lui.

Voilà deux démarches essentielles pour accompagner la perte d’un enfant. Deux démarches que personne ne pourra faire pour nous, ne fera à notre place, démarches qui relèvent de notre seule responsabilité.


Le paradoxe parental  

Par Jacques Salomé, paru dans “AQEP - vivre le Primaire” – hiver 2014 – vol. 27 - n° 1

Le paradoxe parental commence à sévir dès le moment où nous devenons parents, c’est-à-dire à l’instant où l’enfant sort du ventre de sa mère. Auparavant, nous étions seulement géniteurs ayant transmis la vie à un embryon, devenu fœtus puis bébé. Dès cet instant appelé la naissance d’un enfant, où l’enfant est dans nos bras, nous allons être confrontés à une foultitude d’émerveillements et d’étonnements, mais aussi d’attentes, de devoirs, de contraintes, d’émotions, et cela, durant toute notre existence de parents, soit, disons-le clairement, jusqu’à notre disparition.

Nous allons ainsi être porteurs de ce que j’appelle le paradoxe parental. Un parmi les multiples paradoxes qui traversent toute existence humaine, mais certainement un des plus difficiles à vivre.

Le paradoxe parental se traduit par l’envoi à nos enfants d’un double message. Alors que nous voulons participer activement à leur développement, à leur autonomie, à leur indépendance, nous allons en même temps déposer sur eux des peurs et des désirs qui vont constituer, le plus souvent, un frein considérable à leur autonomie et à leur indépendance future.

À cela vient s’ajouter le fait que nous ne percevons pas toujours clairement que nos enfants, à tout âge, sont d’une habileté incroyable (consciente et inconsciente) pour déclencher chez nous des réponses et des conduites réactionnelles, alors que notre intention, notre devoir, notre tâche seraient de leur proposer des conduites, des attitudes et des réponses plus relationnelles adaptées à leurs besoins. Autrement dit, d’avoir le souci de proposer à chacun de nos enfants plus de comportements relationnels que réactionnels, sinon nous allons déclencher chez eux l’inverse de ce que nous souhaitons.

Nous devenons relationnels quand nous savons nous positionner face à eux avec des demandes claires à leur égard et non avec des injonctions. Et cela avec suffisamment de clarté et de cohérence pour leur permettre de s’exercer à nous résister, de se confronter, de pouvoir s’affirmer, d’être capable d’énoncer à leur tour leurs attentes non en matière d’exigences, mais par des demandes avec lesquelles ils vont découvrir que nous avons des réponses différenciées qui ne comblent pas toujours leurs espérances. Cela les aidera plus tard à mieux accueillir les gratifications venues de leur entourage et à mieux tolérer les frustrations inévitables qui vont nécessairement provenir du même entourage. Cela devrait leur permettre à leur tour de mieux intérioriser des démarches relationnelles ouvertes, cohérentes, distanciées avec leur environnement.

Victimes comme nous du paradoxe parental, ils développent à leur tour du réactionnel devant nos interventions centrées, pour l’essentiel, sur ce qu’ils font, sur ce qu’ils disent, sur ce qu’ils ne font pas, ou encore, sur ce qu’ils ne disent pas, et non centrées sur leur personne, sur ce qu’ils sont. Le cycle est amorcé et peut durer des années ! En effet, être relationnel pour un parent ce n’est pas se comporter en fonction de ce que fait l’enfant devant nous, mais de ce qu’il est, ce qui va nous obliger à ne pas le confondre avec son comportement ! C’est hélas trop souvent le cas ! Proposer du relationnel c’est être à l’écoute non de leurs désirs mais de leurs besoins réels, de leurs attentes profondes. Ce sera répondre non pas en fonction de ce qu’ils ont touché, réveillé, restimulé en nous, mais de ce qu’ils ont vécu au-delà de ce qu’ils ont fait !

Le réactionnel chez les parents est à relier à ce qui sera touché chez la mère ou le père, dans leur image, dans leur désir de bien faire. Cela peut se situer sur plusieurs plans et provoquer des dysfonctionnements émotionnels, des tensions plus ou moins durables et des réajustements sans fin. Chacun de nos enfants, en réveillant l’ex-enfant blessé, humilié, rebelle ou narcissique qui est toujours en nous, va, d’une certaine façon, nous infantiliser. C’est l’autre aspect du paradoxe parental.

Certains vont restimuler des situations inachevées, d’autres réactiver des blessures archaïques et, à d’autres moments, les mêmes vont remettre à jour des incompréhensions, des violences reçues. Ils vont titiller des ressentis intimes, parfois inavouables tant ils sont puérils ou irrationnels.

Nous serons ainsi placés devant des échecs, de l’impuissance, des colères qui nous laissent démunis, coupables ou, au contraire, vont renforcer chez l’un ou l’autre des parents le recours à des modèles qui se veulent rassurants, auxquels ils vont s’accrocher pour se sécuriser, mais cela avec la plus grande des incohérences.

Le paradoxe parental sera d’autant plus actif que l’enfant blesse l’image du bon parent que nous avons besoin de nourrir en nous. En suscitant une remise en cause quasi permanente, qui est souvent insupportable car nous avons besoin, nous aussi, de nous confirmer comme “bons parents”, capables d’attentions, de compréhension, de discernement et de bienveillance.

Apprendre à “sortir” du réactionnel vers lequel nous allons être inévitablement entraîné pour “passer” à plus de relationnel, à une écoute centrée sur l’enfant et non sur le problème qu’il nous pose, sur sa personne en construction et non par seulement la difficulté qu’il nous fait vivre et qui nous rend aveugle et sourd à ce qu’il vit, voilà un des enjeux les plus passionnants de la parentalité.


Lettre d’une mère à ses enfants  

Par Jacques Salomé, “Générations Plus” – novembre 2012 – n° 40

« À ce jour, je ne sais toujours pas, alors que vous avez quitté la maison depuis longtemps, si j’ai été une mère suffisamment présente et ferme, sachant poser des exigences claires, capable de vous apprendre à rencontrer les réalités de la vie et une maman suffisamment chaleureuse et bienveillante, capable d’être tendre et prévenante pour permettre à chacun d’entre vous, mes enfants, de vous aimer et de vous respecter. Ou si, au contraire, vous m’avez vécue comme une mère trop dure, formaliste, seulement préoccupée d’un quotidien répétitif, absorbée par des repos à préparer, envahie de linge à laver, focalisée sur des rappels à l’ordre pour la propreté de vos corps ou de votre chambre, aveuglée par le souci de contrôler vos devoirs, la surveillance de vos relations ou dépassée par la précocité de vos découvertes et expériences !

Ai-je été trop souvent une maman inquiète, envahissante, trop prévenante, anticipant tous les malheurs qui auraient pu vous arriver hors de ma présence et déposant sur vous, avec beaucoup d’amour, mes peurs et angoisses au point de fragiliser votre propre confiance, de vous faire douter de vos ressources, de semer en vous les graines d’une révolte cachée ?

Je peux accepter aujourd’hui que j’ai été cette maman et cette mère là, telle que j’imaginais que je devais être, telle que je m’efforçais de l’être pour répondre aux attentes de mon entourage familial, de votre père, de la société dans laquelle je vivais. Je me suis efforcée déjouer avec application et bonne foi différents rôles dictés par les circonstances, mais si éloignés parfois de ce que j’étais réellement ou à des années-lumière de vos propres besoins. J’ai été très souvent, quasi en permanence, dans le réactionnel, colmatant sans relâche ce qui me semblait être des carences, des manques chez vous, chez les autres. J’ai pris sur moi d’apporter des réponses, ce que je croyais être des solutions à tous les problèmes que vous traversiez ou qui assaillaient notre vie intime. J’avais un réel souci de vous donner le meilleur, de vous rendre heureux à tout prix. À tout prix, quelle erreur !

Je peux sentir ces derniers temps, que vous m’avez surtout perçue, telle que je n’ai pas été dans vos attentes et vos espérances, telle que j’aurais dû être pour vous apaiser, pour vous combler, pour vous initier au bon de la vie, au merveilleux de l’existence.

Je ne sais toujours pas si j’aurais dû vous parler de la petite fille que j’ai été, de l’adolescente que je fus, de la jeune femme émerveillée que j’étais à votre arrivée au monde, puis de la femme trop souvent en conflit entre trop de rôles contradictoires : maman, mère, femme, épouse, professionnelle, ex-petite fille.

À certaines époques, trop enfermée, dépassée par un quotidien qui me semblait reposer sur mes épaules, avec trop de problèmes à gérer et à vouloir résoudre. Je ne sais encore si j’aurais dû me livrer davantage, vous montrer mes vulnérabilités, mes doutes, partager mes interrogations ou vous montrer quelques-uns des personnages qui m’habitaient, qui rêvaient en moi ou qui s’étouffaient dans un silence assourdissant !

Ce que je sais, c’est que je n’ai pas suffisamment osé avec vous, que je ne me suis pas assez confrontée, positionnée, affirmée face à l’excès de vos demandes. Je me suis trop fréquemment censurée. Je me suis trop souvent interdit de vous dire mes ressentis, mes sentiments réels, mes émotions, mes fantasmes ou mes utopies, ce désir de vie si puissant en moi.

Je suis passée trop souvent à côté de moi en votre présence. Et maintenant je ne peux rien changer à votre histoire de vie, sinon témoigner de ce que je fus, de ce que je ne fus pas, de ce que je suis.

Celle qui vous a mis au monde, il y a si peu de temps, il y a si longtemps. »

J’aurais pu écrire cette lettre, avec quasiment les mêmes mots et l’envoyer à chacun de mes enfants.


Des parents qui se donnent de la peine pour leurs enfants  

Par Jacques Salomé, “Générations Plus” – juin 2012 – n° 36

Un ami me disait récemment : « Mes parents se sont donné beaucoup de peine pour nous, leurs enfants, pour nous permettre de devenir ce que nous sommes devenus ! Nous étions au centre de leur vie ! ».

J’ai souvent entendu cette phrase. Et j’ai beaucoup de témoignages que je vais rapporter, dans le désordre, pour lever quelques malentendus sur ces dons proposés, offerts ou imposés à des enfants.

Cette peine donnée “à nous”, les enfants, car ce sont toujours des ex-enfants qui parlent, concerne en premier lieu les soins de survie. La nourriture et sa préparation, équilibrée me dit l’un : « Crudités, légumes, viande ou poisson, dessert, à chaque repas ». « Blé germé, huile de foie de morue, calcium en comprimés à sucer, fer, séjours à la campagne et bien d’autres compléments pour améliorer les faiblesses de la nature à notre égard. Mes parents voulaient à tout prix des enfants en bonne santé », m’affirme un autre.

« Chez nous, c’était l’habillage qui était l’objet de contraintes très précises. Cache-nez, moufles, bonnet, être bien couvert ! Ma mère, raconte cette femme, coupait et cousait elle-même tous nos vêtements ».

Et puis, il y a tous ces conseils, toutes les questions qui viennent se déposer sur un enfant et qui attendent une réponse “rassurante”, conforme aux attentes : « As-tu mis tes chaussures à sécher, avec du papier dedans ? », « Surtout ne pas garder les pieds mouillés, c’est comme ça qu’on attrape la mort ! », « As-tu bien séché tes cheveux ? T’es-tu bien lavé les mains ? ».

Il y a aussi le sommeil et le rituel du couchage. « D’abord la prière (ma mère n’aurait pu dormir en paix si je n’avais pas fait ma prière). Une prière simple, fervente, mon frère voulait la faire au moment de la sieste, pour écourter ce qu’il considérait comme une punition d’avoir à se coucher en plein jour ! »

Se laver les dents, brosser ses cheveux, ranger ses affaires dans le bon ordre ! Les fins de semaine, le grand nettoyage et les détails. « J’avais les cheveux raides, mes sœurs les cheveux bouclés, aussi ma mère me posait des bigoudis pour assouplir ma chevelure », me précise une cousine.

Les parents d’aujourd’hui aussi se donnent beaucoup de mal pour la santé de leurs enfants. « Tous les dimanches, ma mère insistait, il fallait sortir pour prendre l’air, c’était bon pour la santé. C’était impensable pour elle de ne pas sortir. Par n’importe quel temps. Et aujourd’hui encore elle sort, une fois par jour, ses petits-enfants… ».

Les maladies d’enfants (coqueluche, rougeole, varicelle, scarlatine) sont l’occasion d’un renforcement de l’attention des parents.

« Le repas du dimanche ou des jours de fête mobilise moins d’énergie chez ma femme que chez ma mère. Cette dernière, très tôt le matin et toute la matinée, reste attentive, préoccupée des petits détails, sensible à l’harmonie de l’ensemble du repas, que nous dévorons, nous les enfants (et les ex-enfants) sans aucun complexe ni remerciement. Quel dévouement, que d’amour donné ainsi, qui ne sera pas toujours bien reçu d’ailleurs ! »

Le lever et la préparation du départ pour l’école demandent aussi beaucoup de vigilance. « Là, c’était le père qui s’était investi dans cette tâche périlleuse. Il arrivait dans la chambre et en guise de bonjour annonçait : “c’est l’heure”, et d’un geste vif, il rejetait couvertures et duvet. Puis il ouvrait la fenêtre tout en grand, puis le volet et partait sans ajouter un mot ». Il y avait l’organisation de la toilette, visage, mains, cheveux et dents !

« Mes parents se sont donné beaucoup de mal pour nous faire aimer la lecture. Maman lisait des histoires, nous abonnait à des journaux d’enfants. Nous avons vu défiler de multiples collections : Martin, Caroline, Club des 5, Clan des 7, Heidi. Tarzan, Tintin, Pieds Nickelés, Michel Vaillant, Zorro, Les Hommes volants, Spirou… »

Qu’est-il resté de tout cela ? Peu et beaucoup.

Peu, dans le sens où nos propres enfants ont certainement bénéficié d’attention et de vigilance, mais supporté moins de soins imposés que la plupart d’entre nous.

Beaucoup, par une conscience aiguë qu’il nous fallait répondre à des désirs innombrables, à des centres d’intérêt très diversifiés alors que ceux-ci étaient totalement ignorés de nos parents !